DeepSeek. Désinformation ou pourrissement du cerveau, où est l'espoir ? (#8)
Pourquoi nous nous trompons sur LE problème à l'âge de l'IA ? Pourquoi est-il plus que jamais vital de comprendre ce qui se passe en posant la question la plus difficile ?
Je suis auteur et chercheur, et dans chaque lettre, je tente de répondre à une question difficile en m’appuyant sur l’histoire de l'art et de la littérature. À cette fin, j’explore le mystère de la progression de notre intelligence, j’étudie cette loi de puissance créative individuelle qui a traversé l’histoire. Voici la question au cœur de ma recherche:
“Comment l'individu peut-il faire progresser sa valeur aujourd’hui, d’abord avec sa passion de lire et d’écrire, ensuite avec sa loi de puissance intime qui a traversé les 3 âges de l’histoire ? L’âge du rêve de SAPIENS (70 000 ans), l’âge de l’imagination de GUTENBERG (1450), l’âge des agents d’IA (2025).”
Alors que l’irruption de l’arme chinoise DeepSeek fait valser les Bourses mais ne résous ni la désinformation ni la crétinisation, voici la question délicate à laquelle je tente de répondre aujourd’hui.
“Quel est selon vous LE problème politique le plus difficile posé par l’arme de l’IA ? S’agit-il de la désinformation des plateformes ? Ou s’agit-il du pourrissement croissant du cerveau de publics en éruption quand ils s’agrègent autour de mythes ultra-ciblés - ultra dangereux, générés par cette technologie ? Que nous dit alors notre loi de puissance intime, où est l’espoir ?
J’ai choisis “Mulholand Drive” de David Lynch1, ce maitre absolu des énigmes et du rêve de SAPIENS, pour illustrer cette lettre.
DeepSeek, les 5 points qu’aucun média ou dirigeant français ne semble comprendre
Le modèle de langage DeepSeek n'est pas plus intelligent que les modèles américains, il est simplement “entrainable2” à moindre coût; il est environ 100 fois moins cher à entrainer, ce qui est considérable, mais son “inférence”, son fonctionnement reste très couteux. Surtout si l'on veut le faire « penser » plus longtemps comme o3 d’OpenAI.
DeepSeek ne résout ni les “hallucinations”, ni les problèmes d’instabilité intrinsèque3 des grands modèles américains (OpenAI, Anthropic, Google, Meta,…).
La plus grande menace n'est pas pour Nvidia; les gens auront toujours besoin de processeurs GPU (Graphic Processing Unit), mais de moins de GPU haut de gamme. C’est une menace pour OpenAI, Anthropic, et Google Gemini, parce que la guerre des prix va casser (allonger) la piste de décollage des profits qui obsède les “Venture Capitalist (VC)” de la Sillicon Valley. En outre, DeepSeek est un modèle OpenSource qui surpasse celui Meta (Code Llama), ce qui va l’aider à attirer des talents. Bref, le choc DeepSeek va rendre les VC de la Valley très nerveux et augmenter la volatilité des marchés.
DeepSeek est déjà, aux USA, une prise de conscience géopolitiquement douloureuse face à la Chine, comme un second moment “Spoutnik”4.
Mais DeepSeek ne cause aucun moment “Spoutnik” chez nos dirigeants, chez nos médias. Enferrés dans leur déni de ce qui se passe, ils s’interdisent de réfléchir à l’arme de l’IA, ils ne comprennent pas les nouvelles règles politiques. Alors je tente de vous éclairer sur LE problème en m’attaquant à la question du jour ?
Nous nous trompons sur LE problème
Face à la question posée plus haut, il me semble que nous nous focalisons sur le temps court d’internet (2000), celui des smartphones, celui de la désinformation qui n’existait pas à cette échelle il y a 25 ans. Nous considérons que le problème est celui des fausses nouvelles qui augmentent depuis 2000, c'est-à-dire que les gens reçoivent des informations erronées et sont convaincus que des choses fausses - des mythes de toutes sortes, sont en fait vraies. Ce problème nous semble alors pouvoir être résolu “démocratiquement” en apprenant aux gens à déceler les faussetés et autres mystifications du net. Ou en régulant ou en censurant, ce qui ne marche jamais. Comment réguler une technologie que l’on ne comprend pas ? Cette désinformation est effectivement un défi, mais ce n'est pas LE défi plus important. Il s’agit bien d’un problème politique important, mais ce n’est pas LE problème si nous acceptons maintenant d’explorer le temps long de l’histoire cognitive. Ce temps long des 3 âges qui ont fait progresser ou régresser notre intelligence. Voici ces 3 âges résumés dans ce tableau qui modélise l’aventure humaine: explorons-les un par un pour répondre à la question qui nous préoccupe ?
L’âge de SAPIENS, l’âge du rêve, l’âge du mythe
Tout est une question d’échelle, et on sait que celle de l’âge de SAPIENS fût mondiale. En effet, l’homme a développé plus de 7000 langages pour projeter son corps, ses rêves et ses mythes partout dans le monde, une prouesse unique. Encore aujourd’hui, rien n’est plus vital à l’enfant et à l’adulte que de progresser par le plaisir du langage, par la puissance des rêves échangés. Penser individuellement et partager collectivement des mythes est donc crucial pour développer notre intelligence, mais que se passe-t-il si depuis 25 ans, au lieu de penser nos mythes et les partager en face à face, nous nous en remettons toujours plus à internet et à l’IA pour les générer à l’échelle ? Il se passe que nos capacités cérébrales de lecture et d’écriture s’effondrent, mais il faut explorer l’âge de GUTENBERG pour comprendre pourquoi.
L’âge de GUTENBERG, celui de nos 2 vecteurs d’intelligence indépassables mais fragiles
En passant à l’échelle mondiale de SAPIENS, ce long âge du rêve nous a conduit in fine à inventer l’écriture et la lecture et à nous projeter dans le monde (échelle mondiale). Regardez dans le tableau des 3 âges celui de GUTENBERG: quand on change l’échelle qui devient hyper mondiale avec le livre et l’écriture, les conséquences sont prodigieuses: on change de monde, on change de lois, on change d’économie. Toutes les cartes sont rebattues, et l’Europe a même inventé le capitalisme du progrès social (ligne 2 du tableau), aujourd’hui celui des USA et de l’IA. Un progrès que je me permet d’interroger à la fin de cette lettre.
Voici le problème cognitif de la taille d’un éléphant que chacun sous-estime, celui de la loi fondamentale de l’ingénierie inverse du cerveau humain que tous les paléoanthropologues connaissent:
Plus une capacité cérébrale est ancienne - comme celle d’échanger du langage et des mythes, plus elle est stable dans notre cerveau de SAPIENS. Que se passe-t-il alors à l’échelle des mythes ultra-dangereux, celle des milliards d’agents d’IA5 ?
À l’inverse, plus une capacité cérébrale est récente - comme celle de la lecture du livre et de l’écriture, plus elle est instable. Loi fondamentale de l’ingénierie inverse du cerveau, Pascal Pick, paléoanthropologue6
Voici alors LE problème cognitif posé par l’âge de GUTENBERG que nous sous-estimons et qui va non seulement nous préoccuper, mais je le crains hanter nos esprits pour longtemps. Car il en va de l’avenir de nos enfants; alors que le livre et l’écriture sont à jamais leurs vecteurs d’intelligence indépassables après le CP, ces 2 capacités cognitives sont si récentes à l’échelle de SAPIENS qu’elles sont plus que jamais dévastées par le déferlement des agents d’IA.
À l’âge de l’IA, ne (surtout) pas se tromper de problème
Nous y sommes. Même si la désinformation est un problème, celui qui vient nous frapper de plein fouet est un problème mille fois plus grand; il est, politiquement et collectivement, totalement insoluble dans une Europe ou une France qui a perdu sa souveraineté technologique. LE problème principal est celui du pourrissement croissant du cerveau de publics en éruption quand ils s’agrègent autour de mythes ultra-ciblés - ultra dangereux, générés par l’IA. Que cela soit celle de DeepSeek ou celle de l’Oncle Sam Altman (PDG d’OpenAI), cela ne change rien à l’affaire. Regardez sur le tableau des 3 âges le résumé du monde de l’IA qui ne fait que commencer:
une société de plus en plus fragmentée politiquement, dominée par l’imprévisibilité systémique; le cauchemar du dirigeant d’entreprise.
un monde où les crises industrielles vont se multiplier, mais où une classe créative se rebelle (enfin!) avec sa loi de puissance intime. Elle va résister pour augmenter sa valeur, pour la sublimer à l’échelle, pour vivre (enfin!) dignement de ses œuvres.
Pourquoi ce problème du pourrissement cérébral est-il insoluble collectivement, même dans nos écoles ? Pourquoi est-il mille fois plus pernicieux ? D’abord parce que toute solution à cet effondrement cognitif impliquerait des politiques collectives dans une société, on l’a vu, toujours plus fragmentée politiquement. Et donc inopérante. Ensuite parce que nos élites françaises ou européennes sont dans le déni, parce qu’elles s’interdisent de réfléchir à l’arme de l’IA. En, effet, nos dirigeants politiques ne songent qu’à nous surveiller avec cette arme pour que l’ordre règne, alors que nos dirigeants industriels ne rêvent que de nous remplacer avec cette technologie de guerre sociale; les auteurs et les artistes en premier, ces malotrus qui se permettent même de faire gréve.
Où est l’espoir, sinon de dire à ceux qu’on aime…
La plus sacrée, la plus inattaquable, la plus inaliénable et la plus personnelle de toutes les propriétés est l’ouvrage, fruit de la pensée de l’auteur.” Beaumarchais, texte inspirant la première loi sur la Propriété Intellectuelle (PI) de 1791.
Si vous pensez que ce “capitalisme de soit-disant progrès social” n’est pas un mythe, je vous invite à y penser à nouveau. Voici deux faits qui montrent que le système industriel, en réalité, aliène le travailleur ET le fruit de sa pensée. Or il se trouve que selon la loi encore en vigueur, cette propriété de l’auteur est inaliénable.
D’abord, ce système financier extractif se permet, malgré la loi sacrée citée plus haut, d’aliéner 100% de notre propriété de l’esprit alors que celle-ci est pourtant inaliénable; autrement dit cet hyper capitalisme sans conscience pourrit nos cerveaux et l’avenir de nos enfants, il se moque de notre loi sacrée. Je vous le demande, s’arroger 100% de la richesse intellectuelle des individus depuis 234 ans, n’est-ce pas un peu trop ?
Ensuite, je vous invite à votre prise de conscience face à LA question étudiée aujourd’hui. Face à cet hyper capitalisme sans conscience, il ne nous reste que notre loi de puissance créative, intime, inaliénable; celle qui a traversé l’histoire, celle qui me dit qu’il faut aider ceux que j’aime à prendre conscience de ce qui se passe.
Où est l’espoir ? C’est d’oser dire à ceux qu’on aime qu’on les aime, simplement, et qu’il y a plus que jamais de l’espoir. Et que quoi qu’il arrive, il n’est jamais trop tard pour s’emparer du plaisir de lire des vrais livres et d’écrire ses pensées sur du vrai papier. Dites-leur que dans un an ou dans mille, cela restera le meilleur moyen d’accomplir de belles choses, de sublimer leur valeur créative en retournant l’arme de l’IA. Je vous donne rendez-vous à la prochaine lettre pour explorer cette loi de puissance intime, celle qui sublime (enfin!) notre valeur ?
Merci de partager cette lettre avec ceux que vous aimez pour soutenir ma recherche ?
David Jamet - david@livre-contre-IA.fr
David Lynch, disparu récemment, est co-créateur de Twin Peaks, scénariste et réalisateur des films tels que Eraserhead, The Elephant Man, Blue Velvet et Mulholland Drive. J’ai du voir ce film 13 fois sans jamais rien y comprendre, si ce n’est que le rêve y est omniprésent. Son dernier livre “L’espace du rêve”offre un aperçu unique sur le processus créatif d’un des artistes les plus énigmatiques, un des plus grands du cinéma américain.
L'entraînement est le processus où l'IA apprend à partir de données étiquetées en ajustant ses paramètres. L'inférence est la phase où un logiciel d’IA utilise ces connaissances acquises pour répondre à nos questions.
Si vous voulez comprendre ces 2 problèmes, lisez la lettre de Gary Marcus, un des meilleurs experts critiquant les limites et les risques de l’IA
Le "moment Spoutnik" (4 octobre 1957) marque le choc américain face au lancement du premier satellite soviétique, révélant la supériorité technologique de l'URSS. Cette crise géopolitique déclenche une course spatiale, une réforme éducative et la création de la NASA en 1958
“Les milliards d’agents d’IA à 100 milliards chacun” est mon expression pour caractériser la puissance de l’échelle exponentielle de l’IA. Je vous invite d’abord à lire cet essai “From ChatGPT to a billion agents”, où Azeem Azhar (auteur du livre “Exponential”, 2022) montre que les produits majeurs d’IA, tous américains, vont faire déferler chacun plus d’un milliard d’agents d’IA sur internet dès 2025. Ensuite dans cet autre essai “AI’s $100 bn question: The scaling ceiling”, Azahr estime que ces produits investissent chacun plus de 100 milliards de $, soit environ 1 trillion de $, un budget 100 fois supérieur à la majorité des états dans le monde. Ainsi la France et les pays d’Europe ont perdu, et pour longtemps, leur souveraineté technologique et politique (technopolique). Dans la décennie qui vient, un écart exponentiel se creuse entre les USA du système Trump-Musk et le pouvoir (les lois) de nos vielles démocraties qui devient ne plus en plus vite obsolètes car “Le code fait loi”.
Pascal Pick, paléoanthropologue, mentionne plusieurs fois cette loi fondamentale de l’ingénierie inverse du cerveau dans son livre “La Marche, sauver le nomade qui est en nous” (2024)